Entretien pour PRESSE OCEAN :
Le directeur du Hellfest ne peut plus faire comme si de rien n’était. Il demande à ce que le gouvernement prenne au plus vite des mesures en faveur des festivals qui, de manière évidente, ne pourront pas se tenir cet été : « on en a marre de se faire balader ! »
Presse Océan : « Bonjour Ben Barbaud. Mardi dernier Presse Océan vous interrogeait sur la tenue du Hellfest. « Dans l’inconnu total » vous expliquiez poursuivre malgré tout votre travail en vous appuyant sur la deadline du 15 avril. Vendredi, à nos confrères de Ouest France, vous déclariez que le Hellfest n’aurait très certainement pas lieu. Que s’est-il passé entre ces trois jours ? » Ben Barbaud : « Je crois qu’en fait, il était temps de le dire. C’est simplement du bon sens… Il est évident que dans ce contexte de pandémie, on peine à comprendre comment un événement de cette ampleur brassant autant de personnes, le 3e week-end de juin, pourrait avoir lieu. Il suffit de voir autour de nous, toutes les décisions qui sont prises vont en ce sens. Sauf que nous festivals, pour justifier d’une annulation auprès de nos assurances, il nous faut un cadre officiel. La problématique, c’est que le gouvernement ne se préoccupe pas de notre sort ! Du coup on creuse notre trou… Le décret de confinement ne va que jusqu’au 15 avril, date à laquelle, en principe, à Clisson, on démarre l’installation du festival. Donc à les écouter, je suis censé continuer et faire comme si de rien n’était. C’est-à-dire m’engager auprès de nos prestataires en versant des acomptes ! Alors qu’il apparaît évident aux yeux de tous que le Hellfest 2020n’aura pas lieu, je suis toujours dans le flou face aux questions des festivaliers et des prestataires, c’est anormal ! »
Officiellement, votre festival est-il annulé ? « Non, je ne peux pas l’annuler de manière officielle. Nous avons eu la chance début décembre 2019 – tous les festivals n’ont pas la trésorerie – de signer de manière anticipée un contrat d’assurance à hauteur de 200 000 €. Il comprenait une clause d’annulation prévoyant la prise en charge des frais du Hellfest en cas de pandémie. Quand on les a rappelés au début de l’épidémie, ils nous ont juste envoyé un courrier pour nous dire qu’ils avaient trouvé une faille. Que cette épidémie ne serait pas couverte car il s’agissait d’une pneumonie atypique et qu’un paragraphe dans leur clause stipulait que ces dernières n’étaient pas couvertes… C’est une honte, c’est du vol ! Bref, ce sont des lectures de contrat. Tous les commerces s’en plaignent en ce moment, les assurances font tout pour se dédouaner. Mais on ne va pas se laisser faire. On va partir en procédure, cela va durer trois ou quatre ans, ils vont s’en mettre plein les poches en gardant notre argent au chaud… Mais on ira au bout. Mais le nœud du problème aujourd’hui, c’est que si on doit annuler, il nous faut un cadre légal. Car si c’est moi qui prends la décision d’annuler le Hellfest, on n’aura droit à rien. »
Qu’attendez-vous du gouvernement très exactement ?
« Cela fait trois semaines qu’on essaie de rentrer en contact avec le ministère de la Culture, avec le ministère de l’Economie, avec le préfet… Par tous les moyens. Et je ne comprends pas qu’on n’arrive à avoir personne au téléphone ! Si le ministère pouvait s’occuper d’autres structures que le seul opéra de Paris… Non mais là, c’est du clientélisme ! Trois semaines qu’on nous balade donc j’estime qu’on a été assez patient. Ils semblent oublier qu’on est le plus grand festival de musiques actuelles de France. On aimerait être considéré et avoir des réponses à la hauteur de l’événement qu’on organise ! Pour le Hellfest, on parle quand même de 22 millions d’euros de CA générés, de 5 000 bénévoles, de 1 500 artistes et de vingt salariés à l’année, il faut réaliser. On a de vraies pertes sèches, déjà 2 millions d’euros (avec le salaire des employés, les acomptes aux groupes, les frais de promotion, les emprunts bancaires, les investissements sur site). Donc on aimerait se sentir un peu soutenus et que l’État tape du poing sur la table avec nous. Je ne demande pas d’argent, ni de chèque pour couvrir nos dépenses, je demande un cadre légal et un décret qui dise officiellement que les festivals seront annulés cet été. Avec une date butoir, pour pouvoir annuler nos contrats avec les artistes. Car inévitablement, et je ne parle pas pour nous, certains vont y laisser des plumes. »
Comment pourront faire les festivaliers pour se faire rembourser leur pass ?
« On ne sait pas encore mais on va sans doute faire en sorte que le pass 2020 puisse être valable pour le Hellfest 2021. On a bon espoir à vrai dire qu’avec ce que représente l’obtention du pass du Hellfest, on n’ait peu de demandes de remboursement. Mais si des festivaliers veulent être remboursés, on le proposera évidemment. Je pense à ceux qui ont acheté le pass 1 jour pour une programmation précise. Pour les autres, on a la chance de vendre nos pass 3 jours en octobre sans annoncer un seul groupe donc beaucoup vont vouloir garder leur pass pour l’an prochain. C’est uniquement parce qu’on a un public fidèle qu’on peut se permettre cela. Mais je pense aussi aux autres événements. Vous savez, dans le secteur du spectacle, c’est dramatique ce qui va se passer… Même si j’ai bien conscience que ce n’est pas le seul domaine. »
Un dernier message pour consoler les festivaliers confinés, qui sont forcément un peu déçus ?
« Évidemment qu’on est tous déçus, mais on va prendre notre mal en patience avec cette année blanche pour revenir encore plus forts en 2021 ! »
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