QUEL AVENIR POUR NOS SALLES ?
Entretien avec
Cédric CHEMINAUD,
Directeur & Programmateur
La Cartonnerie, Reims (51)
Bonjour Cédric.
Merci à toi de nous accorder ce temps pour évoquer ensemble l’état des salles françaises et notamment celle de La Cartonnerie à Reims.
Pour nous situer, peux-tu nous parler brièvement de l’histoire de La Carto, salle mythique de Reims ?
La Carto, comme beaucoup l’appellent affectueusement aujourd’hui, est sortie de terre en 2005. A l’époque ce projet était innovant : il n’existait alors pas d’autre lieu avec des locaux de répèt, des salles de concerts, un centre ressource, de l’accompagnement d’artistes, de l’action culturelle, de la formation…
A l’occasion de ses 10 ans nous avons eu envie d’insuffler une nouvelle énergie et faire de la salle un véritable lieu de vie culturelle. Nous avons créé de nouveaux espaces plus conviviaux, ouvert la programmation à des acteurs locaux comme les assos ou les collectifs et nous avons créé un nouveau festival La Magnifique Society.
2020 est un coup dur pour notre culture qui, avec l’arrivée de la pandémie COVID-19, s’est vue mettre à l’arrêt brutal.
Quelle était votre situation avant le 17 mars 2020 ?
Nous avons dû commencer à annuler des concerts en grande salle à partir de février et j’ai décidé assez tôt, avant le 17 mars, de tout annuler ou reporter et de fermer la Carto. L’idée à l’époque était de sauver la période de l’été et notamment notre festival.
Nous étions sur une très belle période avant mars 2020, nous accueillions 40 000 personnes sur une année et plus de 20 000 sur le festival. Et les préventes de la fin de saison étaient vraiment très très bonnes.
Qu’a engendré le premier confinement pour La Carto ?
Une première vague d’annulations ou de reports pas évidente à gérer. C’était une situation inédite que nous vivions là, rien dans nos méthodes n’était en place pour y faire face. Il a fallu être souples et réactifs, avoir une grande dose d’adaptabilité ! Et puis gérer toute une équipe de plus de 30 personnes à distance ce n’est pas évident. On a mis en place pas mal de nouveaux outils et même une machine à café virtuelle pour garder la convivialité et ne pas perdre les personnes vraiment isolées.
Nous n’avons pas pu retrouver nos festivals d’été, mais le gouvernement a permis une souplesse… Comment avez-vous pu vous organiser ?
Nous n’avons pas pu nous adapter pour le festival, les contraintes changeaient trop régulièrement et nous sommes un festival de taille moyenne, avec des artistes internationaux notamment avec notre partenariat avec le Japon et la Corée, c’était mission impossible.
Mais nous avons pu reprendre une activité de concerts avant les vacances estivales à La Carto.
Qu’avez-vous pu offrir au public rémois et sous quelles conditions ?
Nous avons adapté un projet en extérieur « Changes d’Air ».
En décorant un peu le parking de la Carto, façon guinguette, nous avons pu créer un espace convivial, avec une scène prêtée par la ville de Reims. Nous avions une jauge réduite, 150 personnes, et nous avons programmé uniquement des groupes locaux, dans plusieurs esthétiques.
Ce projet a connu un joli succès, les gens étaient heureux de se retrouver, même assis et masqués.
Les premiers concerts en mode assis, masqué et en jauge réduite ont pu voir le jour dès la rentrée.
Ce sont des conditions particulières pour vivre un concert, notamment pour certains styles comme le rap, le hip-hop, le rock ou le métal…
Quel retour avez-vous des artistes et du public ?
Effectivement il est très difficile, voire impossible, de programmer toutes les esthétiques. Et celles que tu cites, auxquelles tu peux ajouter l’electro, ont quasiment disparues de nos programmation. Les artistes, comme le public sont relativement satisfaits malgré tout de ce genre de propositions, mais cela ne pourra pas durer.
La deuxième vague a déboulé et un second confinement oblige les salles à fermer à nouveau.
Un nouveau coup dur pour un écosystème en péril.
Comment vous et votre équipe avez-vous vécu cette annonce ?
Ce second confinement a été très difficile à encaisser.
Nous avions tout réorganisé, plusieurs fois, adapté aux nouvelles conditions et au bout d’une semaine à peine, tout s’est arrêté ! Nous avons vécu ça très difficilement, un peu comme de la torture mentale.
Chaque jour amenait ses nouvelles règles, nous réagissions à chaque fois et finalement de devoir tout annuler à nouveau, cela a été très dur.
Concrètement quelle est la situation de La Carto aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous heureusement nous bénéficions du soutien de tous nos partenaires institutionnels ou pas. Et le public nous apporte chaque jour des marques de soutien, cela nous porte et nous met dans une dynamique très enthousiaste de se retrouver !
Nous avons passé sans encombre l’année 2020, reste maintenant à essayer de tracer des pistes pour l’année à venir entre la salle et le festival. C’est encore assez compliqué…
Comment arrivez-vous à maintenir le bateau à flot ?
Pensez-vous que les actions menées par l’Etat et les aides du gouvernement sont une première bonne réponse pour sauver les salles de spectacle ?
Oui heureusement nous vivons en France et l’intervention très forte de l’Etat, nous aide à maintenir la tête hors de l’eau pour traverser toutes ces vagues ☺.
Maintenant ce qu’il nous manque c’est d’un peu de visibilité sur un plus long terme que 15 jours. Même si ces perspectives ne sont pas très optimistes, cela nous permettrait de nous organiser, d’être plus dans des stratégies à moyen terme plutôt que dans des réactions à chaud à chaque fois.
Ce second confinement va apporter son lot de mauvaises nouvelles avec bon nombre de petites salles qui vont mettre la clé sous la porte… Les dégâts sont malheureusement déjà palpables auprès des acteurs du spectacle vivant. Avez-vous un retour de vos collègues ?
Pour le moment, tout le monde tient encore le choc, justement parce que l’Etat a mis en place des dispositifs de soutien.
Mais si la reprise d’activités n’arrive pas au cours de l’année 2021 et surtout avant l’été et la saison des festivals, cela va se tendre énormément…
Vous sentez-vous les « laissés pour compte » dans ce plan mis en place par le gouvernement ?
Nous savons malheureusement que la Culture est la première à être sacrifiée…
Non je crois que beaucoup d’entreprises vivent des moments extrêmement difficiles, nos partenaires hôteliers, les bars, les clubs, tous subissent cette crise, on en parle souvent ensemble.
Ce qui est difficile c’est de se sentir un peu comme le secteur qui serait le plus dangereux pour le public et le plus propice à la propagation du virus.
La Carto travaille depuis longtemps avec les artistes locaux, en leur apportant soutien via ses conventions, ses ateliers, ses résidences, etc…
Comment arrivez-vous à maintenir ce lien avec eux ?
Nous mettons en place des périodes de travail en conditions scéniques, des captations, des partages de visioconférences sur des thématiques qui peuvent les aider à affronter cette crise.
Certains interviennent également dans des actions culturelles notamment auprès des scolaires.
Mais c’est très difficile pour eux, notamment ne pas pouvoir se retrouver pour répéter, créer et se projeter.
A titre personnel, comment vis-tu cette situation sans précédent ? Comment arrives-tu à garder le cap ?
Ce qui me fait tenir bon c’est de sentir l’équipe derrière moi, motivée et dynamique.
C’est parfois très difficile, je ne te le cache pas, surtout lorsque tout a dû être annulé une nouvelle fois.
Mais le secteur des musiques actuelles a toujours été un peu « à la marge », il doit s’adapter et être réactif même en période normale.
Nous construisons tous les ans des événements éphémères qui ne sont pas forcément certains de se tenir comme nous l’avions imaginé. C’est ce qui fait le piment de nos métiers.
Et cela me porte énormément, cette situation nous oblige à être inventif, créatif, c’est ce que j’aime dans mon métier alors j’en prends mon parti et j’avance.
Et puis quand tu diriges une équipe, tu n’as pas forcément le temps d’avoir des états d’âme, il faut aussi motiver l’ensemble pour que cela tienne.
Avez-vous un message à adresser au nom du monde du spectacle (que ce soit aux plus hautes instances ou au public) ?
Vivement la reprise et nous espérons que vous serez nombreux à nos côtés à ce moment-là ! Quelles que soient les conditions !
Merci beaucoup à vous Cédric !
Nous pensons qu’il est important que nous nous serrions tous les coudes pour donner une vie nouvelle et une opportunité différente à la musique de transmettre tout ce qu’elle a donné. Restons unis !
Ludo & Marion
Pour L’Antre Poilus
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